SANTÉ & PRÉVOYANCE
Ségur de la santé : nos interrogations, nos convictions
À la suite d’une concertation de six semaines débutée le 25 mai dernier, les conclusions du Ségur de la santé ont été publiées en juillet. Les 33 mesures, regroupées en quatre grands “piliers” traitent :
- de la transformation des ressources humaines ;
- de l’investissement et du financement de la santé ;
- de l’organisation des établissements hospitaliers ;
- des modalités de prise en charge des usagers dans les territoires.
Parmi elles, certaines nous ont interpellé parce qu’elles concentrent des enjeux nationaux bien connus des politiques de santé depuis des années, parce qu’au contraire elles traduisent un virage sans précédent ou parce que YCE travaille déjà sur leur traduction concrète.
L’analyse qui suit est donc tout sauf une analyse exhaustive des mesures et de leurs implications, mais plutôt la traduction de nos interrogations ou de nos convictions sur des morceaux choisis.
Décharger les médecins pour soigner plus, et mieux ?
Plusieurs mesures visent à alléger la charge pesant sur les médecins pour réussir à soigner plus de patients à nombre constant de médecins. Ce constat fait suite au temps de latence de dispositions telles que la suppression du numerus clausus en médecine. Deux propositions nous ont intéressé dans ce cadre :
- L’accélération du déploiement des Infirmiers en Pratique Avancée (IPA – Mesure 6) ;
- La volonté de former plus de professionnels paramédicaux (Mesure 4).
Rappelons déjà que le statut des infirmiers en pratique avancée est apparu dès 2016, et que ces mesures rejoignent la logique de libérer du temps médical aux médecins. Cette même logique a entraîné la création en juillet 2019 des assistants médicaux, dont 4000 seront financés dans le cadre de Ma Santé 2022. Ces mesures ne sont donc en rien révolutionnaires et ne sont surtout pas des leçons tirées de la pandémie mais elles répondent à un besoin concret d’offre de soins sur les territoires - en particulier les déserts médicaux. L’article que nous avions rédigé sur les enjeux territoriaux de santé mettait en lumière ces problématiques d’accès aux soins qui se doublent de la problématique du vieillissement de la population. Il faudra toutefois s’assurer que ces mesures n’impactent pas la qualité des soins en limitant l’accès au médecin.
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Focus : Infirmiers en pratique avancée - de quoi parle-t-on ?
Issue de la loi de modernisation du système de santé promulguée en Janvier 2016 la profession a été précisée par plusieurs décrets et une première promotion accédait au Diplôme d’Etat cette année. Pour y prétendre, trois ans d’expérience préalable comme infirmier et deux années supplémentaires de formation sont nécessaires. Ces professionnels sont en mesure de renouveler ou de modifier une prescription médicale, de prescrire des examens supplémentaires. L’objectif est de soulager les médecins dans les domaines suivants :
- Les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en soins primaires ;
- L’oncologie et l’hémato-oncologie ;
- la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale.
Afin de ne pas créer une rupture supplémentaire dans la transmission d’informations ces professionnels devront exercer au sein d’équipes pluridisciplinaires comme par exemple au sein d’une maison de santé.
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Redonner de la flexibilité aux établissements sur leur capacité d'accueil.
De nombreuses mesures liées au financement ont retenu notre attention mais dans le contexte actuel d’épidémie la mise en place de 4000 lits à la demande (Mesure 12) semble répondre à l’évidence. Cette année nous a appris qu’il est plus que jamais nécessaire de rendre de la flexibilité à l’hôpital qui a su répondre à l’épidémie localement malgré une situation de crise dénoncée depuis de nombreuses années. Le financement de ces lits de manière ponctuelle et ciblée répond à ce besoin de flexibilité tout en limitant le coût global que pourrait entraîner une surcapacité annuelle. Il est en effet important que les évènements ponctuels (afflux touristique, épidémie saisonnière) n’entraînent pas un refus ou un report de soins de suivi nécessaires et programmés. Reste à préciser le fonctionnement concret de cette mesure notamment en termes de ressources humaines. La lutte entamée contre le mercenariat de l’intérim médical (mesure 3) met en lumière la difficulté d’attirer les ressources nécessaires au bon fonctionnement des services. Cette enveloppe de financement doit donc à minima anticiper le coût plus élevé de ces recrutements de courte durée.
Des mesures pour s’adapter aux contraintes spécifiques des établissements.
Si les conclusions de la concertation entendent redonner de l’importance aux territoires, elles reconnaissent également les spécificités propres à chaque établissement et encouragent leur prise en compte (mesures 19 et 21). Donner plus de liberté à l’organisation interne des établissements s’impose ainsi comme un engagement clé du Ségur. Le ministre de la Santé Olivier Véran a en ce sens déclaré que « l’organisation interne et la gouvernance des établissements doivent pouvoir s’adapter à des situations locales spécifiques et à des projets propres à chaque territoire ». Alors qu’une telle flexibilité semble logique, les établissements devaient jusque-là conformer leurs modes d’organisation au Code de la Santé Publique, imposant par exemple une même organisation interne à des hôpitaux de tailles très différentes. Dans le même sens, le lancement d’un groupe de travail a été annoncé dans le but de simplifier la commande publique afin notamment qu’elle puisse être adaptée aux besoins spécifiques des établissements.
Favoriser l’exercice coordonné et notamment la prise en charge intégrée des personnes âgées.
Le quatrième et dernier pilier du Ségur de la Santé est dédié aux modalités de prise en charge des usagers et soulève notamment l’importance du développement de l’exercice coordonné des professionnels hospitaliers et de ville. La crise sanitaire de la Covid-19 a de fait rendu impérative la coopération entre les professionnels de santé pour la prise en charge de soins non programmés. Une mesure se focalise en particulier sur la prise en charge des personnes âgées, qui ont été parmi les plus touchées par l’épidémie (mesure 28). En 2019, le rapport Libault pointait déjà la nécessité de fluidifier les parcours de soins des personnes âgées et d’améliorer les conditions de leur accompagnement, à domicile comme en établissements de santé et a fortiori à l’hôpital. De manière générale, les prises en charge de ce public spécifique sont insuffisamment pensées dans une logique de continuité de parcours : le manque de coordination est source de ruptures de parcours, lesquelles aggravent la perte d’autonomie des personnes âgées et concourent au surcoût des dépenses de soins. Alors qu’une large partie des hospitalisations des personnes âgées sont évitables, elles constituent aujourd’hui un facteur de risque important pour ce public, d’abord parce que les personnes âgées entrent le plus souvent à l’hôpital par les urgences, mais aussi en raison du suivi des hospitalisations à améliorer. Si l’objectif d’éviter l’hospitalisation des personnes âgées n’est pas nouveau, le Ségur réaffirme son caractère prioritaire dans ses conclusions. Il fait ainsi figurer parmi ses engagements clés l’amélioration de la prise en charge des personnes âgées en pérennisant et en systématisant certaines initiatives nées pendant la crise sanitaire telles les astreintes sanitaires au bénéfice des établissements d’hébergement des personnes âgées. En parallèle, des parcours d’admissions directes non programmées à l’hôpital pour les personnes âgées devront être structurés dans chaque territoire d’ici 2 ans pour éviter les passages aux urgences inutiles. Cet objectif rejoint ainsi les travaux déjà engagés dans certaines régions comme en Île de France où YCE accompagne l’ARS pour réaliser une étude sur la prise en charge des séniors aux urgences. La coopération des professionnels de santé autour de la prise en charge de ce public passera également par le renforcement du déploiement d’équipes mobiles de gériatrie et de soins palliatifs, des interventions d’hospitalisation à domicile et des professionnels libéraux sur les lieux de vie des personnes âgées. Au travers de chacun de ces objectifs, il s’agit de mettre l’accent sur l’exercice coordonné afin qu’à terme puisse être mise en place une offre de prise en charge véritablement intégrée ville-hôpital-médico-social pour les personnes âgées.
Dans ce cadre ces dernières mesures du Ségur sont une premier pas vers la réforme de la dépendance, véritable enjeu sociétal, qui devrait être inscrite au PLFSS 2021.
Manon Cousseau, Théophile Verdier, 03/09/2020
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Crédit photo : Kevin Kobsic sur Unsplash