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EMPLOI & FORMATION PROFESSIONNELLE

ÉTUDE

Formation pro : des choix difficiles vont s'imposer

Une crise dans un contexte de profonde transformation

Dans le secteur de la formation professionnelle, la crise sanitaire est intervenue dans un contexte de profonde transformation. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont entrepris de transformer en profondeur le système de formation professionnelle en vue d’accompagner les mutations du marché du travail.

Une forte réactivité pour s’adapter au confinement

Le secteur dans son ensemble a, en outre, fait preuve d’une très forte réactivité et adaptabilité pendant la crise.Les organismes de formation se sont incontestablement mobilisés avec succès pour maintenir les sessions de formation programmées. Selon l’étude réalisée par la DARES :

  • Maintien de 2 formations sur 3. Les deux tiers des formations qui contenaient au moins une part de présentiel (lesquelles représentaient 93% des formations programmées) ont été maintenues partiellement ou complètement pendant le confinement (malgré l’interdiction de recevoir les participants dans les locaux)[1]. La plupart (77 %) de ces formations maintenues ont été assurées par des sessions à distance.
  • Taux de participation de 95%.  La quasi-totalité (95 %) des participants dont les formations ont été maintenues ont été en capacité d’assister au moins partiellement à ces sessions à distance. Les participants les moins diplômés ont toutefois connu plus de difficultés pour maintenir une participation assidue, principalement à cause de leurs obligations familiales (enfants) et du manque d’équipements informatiques ou d’accès Internet suffisamment performants.

Le rôle des financeurs dans la gestion de crise.  Les financeurs ont, de même, réagi rapidement pour soutenir le secteur, que ce soit en  privilégiant le recours à la formation dans la période (ex. mobilisation du Fonds national de l’Emploi « FNE-Formation », pour financer les actions de formation suivies par les salariés en activité partielle, appui à l’accès à la VAE, etc.), pour maintenir la rémunération des demandeurs d’emploi qui avaient entamé une formation suspendue par la crise sanitaire ou pour soutenir les organismes de formation[2].

Les limites.  Comme le relève Pascal Blain, Directeur régional de Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes, « Il y a des limites au contenu formatif qui aura pu être effectivement transmis dans la période. Il faut donc anticiper un besoin de rattrapage (par exemple, pour certaines formations liées au transport le nombre d’heures qui peuvent être réalisées sur simulateur est limité) »

[3].Il reste que la forte réactivité du secteur est une « bonne surprise dans cette crise et que cela aura certainement permis de faire sauter des verrous sur la formation à distance ».

Deux enjeux majeurs pour la sortie de crise

La période de confinement passée, se pose la question de l’impact sur le secteur, à moyen et long terme, de cette dernière et de la crise économique qui l’accompagne, et ce sous deux angles complémentaires[4] :

  • Comment identifier et pérenniser les acquis, notamment pédagogiques, de la crise ?
  • Comment adapter les priorités aux nouvelles réalités économiques, sans abandonner les publics les plus fragilisés ?

Pérenniser les acquis pédagogiques de la crise

Sortir du tout-présentiel.  Toutes les réformes engagées tablent sur une refonte de l’écosystème de la formation, appelé à travailler de manière plus transverse dans le cadre de parcours impliquant plusieurs acteurs mais également à se réinventer pédagogiquement. Cette expérience de sortie contrainte du paradigme du tout présentiel devrait contribuer à la mise en place de formations mixtes tirant le meilleur parti de moments en présentiel avec le formateur, de mises en pratique (dans l’entreprise de préférence, notamment via le développement de l’AFEST) et de temps d’apprentissage individuel (de manière digitale ou non) ainsi d’ailleurs que des échanges entre participants.

Le rôle des financeurs dans l’évolution de l’offre.  Toutefois, comme l’indique Audrey Pérocheau, Directrice de la formation de Pôle emploi, « Il est peu probable que la période que nous traversons conduise spontanément la plupart des organismes de formation (…) à modifier en profondeur leur design pédagogique, les modalités d’animation et d’acquisition des compétences. Il ne s’agit bien entendu pas (seulement) d’une question de volonté, mais aussi de capacités méthodologiques, de compétences des formateurs, technologiques, de ratios de rentabilité ». Il est donc nécessaire qu’un message clair soit passé en ce sens par les financeurs pour exiger mais aussi permettre cette transformation, notamment en adaptant les modalités d’achat des formations. Des solutions prenant en compte les besoins spécifiques des publics les plus éloignés de la formation devront également pouvoir être conçues et expérimentées à cette occasion (ex. formations/accompagnements permettant de favoriser l’usage du numérique, mise à disposition dans les territoires de tiers lieux permettant de se concentrer et de se connecter, etc.).

Adapter les priorités aux nouvelles réalités économiques, sans abandonner les publics les plus fragilisés

Adapter les formations aux besoins des nouveaux demandeurs d’emploi.  La forte augmentation du chômage déjà intervenue (suite aux non-renouvellements de contrats courts – qui ont entrainé des niveaux historiques de transferts de catégories dans les statistiques de Pôle emploi) et crainte (suite aux licenciements, actuellement évités grâce au mécanisme d’activité partielle, anticipés dans des secteurs fortement impactés par la crise) implique l’arrivée sur le marché de l’emploi de nombreuses personnes qui, sans être éloignées de l’emploi, auront besoin de compléter leurs compétences afin de pouvoir rejoindre un autre secteur et/ou une autre fonction. La demande de formations d’adaptation risque donc de croitre fortement.

Adapter les formations aux nouveaux besoins du marché.  Par ailleurs, des besoins spécifiques en compétences pourraient se faire jour dans certains secteurs clefs post crise (secteur médico-social, aide à la personne, secteurs stratégiques relocalisés, etc.).

Concilier ces "nouveaux" besoins et ceux des personnes durablement éloignées de l’emploi.  Ces deux circonstances amèneront à devoir concilier les besoins des publics fragilisés et éloignés de l’emploi (effort important de mobilisation, formation de base, etc.) et ceux des publics (subitement beaucoup plus nombreux) à qui il faut permettre de rebondir rapidement, tant pour eux que pour soutenir la relance économique française.

Pascal Blain le confirme, il faudra faire des choix, parfois difficiles : « face à une offre pour un poste de cuisinier avec 30 postulants anciens cuisiniers et 20 postulants ayant eu une autre expérience, il ne sera pas facile pour un conseiller Pôle emploi de proposer un autre profil que celui d’un ancien cuisinier à l’entreprise recruteuse ». Toutefois, en Auvergne Rhône Alpes, Pôle emploi va maintenir l’effort mis sur l’accompagnement renforcé des personnes les plus vulnérables : les conseillers travaillant avec ces publics seront, dans toute la mesure du possible, préservés de l’accroissement du nombre de demandeurs d’emploi.

Concernant la formation à proprement parler, Pascal Blain indique : « je crois beaucoup aux vertus de l’approche savoir être, qui n’est pas qu’un effet de mode. C’est donc un levier que nous pourrons utiliser pour convaincre les recruteurs d’aller vers des profils plus atypiques ». Pôle emploi continuera donc à mettre l’accent sur cet aspect dans la formation des publics plus éloignés de l’emploi. Par ailleurs, la période troublée pourrait aussi être mise à profit pour permettre à des publics plus fragilisés de parcourir le chemin –qui demande du temps– qui va de la (re-)mobilisation à la formation menant à l’emploi, en passant si besoin par une formation de remise à niveau, pendant que des publics plus proches de l’emploi seront orientés sur des formations d’adaptation pour un retour à l’emploi plus rapide. Les rythmes des deux publics étant par nature très différents.

Les ressources (conseillers et budgets) disponibles ne sont toutefois par extensibles. Des arbitrages devront donc être posés. Dans ce cadre, nous avons la conviction que :

  • La pérennisation des acquis pédagogique de la crise pourrait également contribuer à réduire les tensions sur les ressources : les évolutions attendues devraient permettre d’accroitre l’offre de formation en maitrisant son coût et d’en adapter la pédagogie aux besoins de différents types de publics, avec le cas échéant un rythme différencié au sein d’un même groupe de participants;
  • La cohérence et la complémentarité des différents acteurs, et en particulier de Pôle emploi et des Régions, seront essentielles pour relever ce défi d’envergure.

Nathalie François, le 16.06.2020

[1] Comme on pouvait s’y attendre, les formations qui requièrent l’usage de plateaux techniques et celles préalables à embauche (impliquant la participation des entreprises) ont davantage été suspendues.

[2] Par exemple, outre des contacts individualisés avec les organismes de formation, Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place des sessions de créativité digitales regroupant de nombreux organismes de formation pour leur permettre de partager leurs bonnes pratiques et de trouver ensemble des solutions à leurs problèmes communs.

[3] Interview de Pascal Blain réalisée le 15 juin 2020 par YCE partners.

[4] Consciente de ces enjeux clefs, la DARES a lancé, le 7 mai dernier, un appel à projets de recherche portant sur ces différentes questions afin d’éclairer la décision publique. Avis aux chercheurs volontaires… Toutes les énergies seront nécessaires pour mener ces deux défis de front !Crédit photo : Pierre-Luc Delage.

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