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FINANCEMENT ET DONNÉES SOCIALES

ÉTUDE

Acte 2 du Plan pauvreté : quelles mesures pour faire face à l’explosion attendue de la pauvreté ?

La crise du Covid-19 constitue un électrochoc économique et social gigantesque, entraînant un recul très marqué de l’activité économique, éprouvant – et, par là, valorisant – notre système de protection sociale, et produisant des effets sociaux immenses d’augmentation de la précarité et d’accélération des inégalités.

Le rapport du Secours catholique paru le 12 novembre souligne les effets de la crise Covid sur la situation sociale et les chiffres de la pauvreté. L’association met ainsi en avant une baisse du revenu médian, une hausse du chômage de longue durée et des difficultés croissantes pour de nombreuses personnes à se loger correctement. Parmi les impacts sociaux, il est aussi noté une forte hausse du recours à l’aide alimentaire et une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA (+10% en quelques mois).

Dans ce contexte social difficile, les attentes étaient fortes quant au deuxième acte du Plan pauvreté, annoncé par le gouvernement, et finalement présenté le 24 octobre. Doté de 1,8 milliards d'€, il doit permettre d’enrayer la bascule ou le maintien dans la pauvreté d’une partie de la population. Des mesures non négligeables, qui n’ont pourtant pas suffi à satisfaire les associations de lutte contre la pauvreté qui sont nombreuses à dénoncer leur insuffisance.

Les principales mesures du plan Pauvreté : priorité à l’accompagnement vers l’emploi

Le deuxième volet de ce plan présenté le 24 octobre 2020 se découpe en trois piliers : des aides sur les revenus, un accompagnement vers l’emploi et l’activité et un renforcement de l’accès et du maintien dans le logement. La revalorisation du RSA et l’élargissement des minimas sociaux, demandés par un grand nombre d’associations, n’ont cependant pas été retenus, le gouvernement ayant opté pour une approche davantage centrée sur l’accompagnement vers l’emploi.

Un soutien financier pour les revenus les plus modestes – Constitué d’aides ponctuelles versées à la fin du mois de novembre, ce soutien concerne en premier lieu les jeunes : 150€ pour les étudiants boursiers, les étudiants-salariés et les jeunes non étudiants bénéficiaires des APL, concernant au total 1,3 millions de jeunes. Ces aides s’adresseront en second lieu aux bénéficiaires du RSA, de l’ASS et des APL (150€ par bénéficiaire du RSA et de l’ASS et 100€ par enfant pour les bénéficiaires du RSA, de l’ASS et des APL). 4 millions de foyers sont concernés par ces mesures, qui s’ajoutent à celles distribuées au mois de mai.

Un développement des solutions d’insertion et d’activité pour les personnes sans emploi –Notamment une extension de la Garantie jeunes pour les jeunes sans emploi ni formation, qui passerait de 100 000 à 150 000 bénéficiaires (pour rappel, un objectif ambitieux de 500 000 bénéficiaires avait été annoncé en 2018). Cette garantie qui mêle accompagnement et aide financière est un dispositif toutefois limité (car géré de façon discrétionnaire, en fonction des enveloppes à disposition), et ne constitue pas un droit à un revenu minimal garanti, tel que pourrait l’être l’accès au RSA pour la tranche d’âge des 18-25 ans.

Le plan prévoit également une extension et une prolongation de l’IAE (Insertion par l’activité économique), qui doit permettre de faciliter l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi à travers un accompagnement renforcé (création annoncée de 30 000 nouvelles aides au poste dans les structures de l’IAE, pour un montant de 150M€).

Renforcement de l’accès et du maintien dans le logement, et de l’accès à l’hébergement d’urgence –  A travers entre autres le lancement anticipé de la campagne hivernale le 18 octobre, des places en hébergement pour les jeunes mères sans-abri, ou encore la prolongation de l’aide aux impayés de loyers.

Le Plan pauvreté de 2018 : un bilan à mi-parcours nuancé

Les mesures annoncées le 24 octobre s’inscrivent plus globalement dans la stratégie du gouvernement de prévention et de lutte contre la pauvreté, initiée par le Plan pauvreté exposé en octobre 2018 et doté de plus de 8 milliards d'€. Deux ans plus tard, quelques mesures ont déjà été mises en place.

Au chapitre de l’égalité des chances, plusieurs mesures ont été mises en œuvre, notamment : des petits déjeunes gratuits pour 155 000 écoliers de maternelle et primaire depuis la rentrée 2019, un « bonus mixité » de 300 € à 2 100 € mis en place pour inciter les crèches à accueillir des enfants issus de famille défavorisées (utilisé par près d’un quart des établissements d’accueil du jeune enfant en 2019), le dédoublement des classes depuis la rentrée 2020 pour 300 000 élèves de CP et CE1 de zone d’éducation prioritaire. En revanche, le plan de formation pour 600 000 professionnels de la petite enfance et les repas à 1€ dans les écoles n’ont pas encore vu le jour.

En matière d’accès aux droits, trois prestations sociales ont été revalorisées en 2020 : l’allocation de solidarité aux personnes âgées - ASPA, l’allocation aux adultes handicapés - AAH et le chèque énergie, qui a été étendu à 2,2 millions de foyers supplémentaires pour leur faciliter le paiement des dépenses d’électricité et de gaz.

Afin de lutter contre les inégalités en santé, la mise en place du 100% santé, par le biais duquel la Sécurité sociale et les complémentaires santé prennent en charge l’intégralité d’un panier de soins optique, dentaire ou audiologie, sera effective au 1er janvier 2021. Depuis le 1er novembre 2019, la fusion de la CMU-C et de l’ACS au sein de la complémentaire santé solidaire – dont bénéficient 1,8 millions de personnes – renforce quant à elle la lisibilité de la prise en charge des soins de santé pour les personnes précaires et diminue le renoncement aux soins pour raisons financières en proposant un panier de soins plus large.

Les pistes alternatives non retenues : revaloriser et/ou réformer les minimas sociaux

Les annonces du Plan pauvreté renseignent aussi sur ce qu’il n’est pas. Notamment, de nombreux appels s’étaient fait entendre pour prévoir un dispositif de soutien pour les jeunes, « parents pauvres » de la protection sociale, avec une extension de l’accès au RSA aux moins de 25 ans, ou un droit à prestation associé.

Autre piste écartée : la revalorisation des minimas sociaux, non retenue par le gouvernement, qui considère qu’une revalorisation freinerait le retour à l’emploi (vision « désincitative » de l’aide pour le retour à l’emploi vs. filet de sécurité lors d’une crise sociale).

Enfin, une réforme des minimas sociaux – notamment via le Revenu universel d’activité (RUA) qui visait à fusionner et simplifier le recours aux minima sociaux et à réduire le non-recours aux droits – était dans les cartons depuis plus d’un an (elle avait fait l’objet d’une concertation fin 2019). Les travaux ont été suspendus et sa mise en œuvre a été reportée sine die.

Au-delà du RUA, la grande réforme du service public de l’insertion, dont les expérimentations sont encore en cours, n’a pas encore abouti.

En conclusion

Ainsi, les choix du gouvernement se sont largement portés sur l’insertion par l’emploi plus que sur l’assistance, ancrée dans une logique plus bismarckienne (assurantielle) de la protection sociale – plutôt qu’inspirée d’une logique beveridgienne universelle.

La crise sanitaire et le confinement expliquent en partie le report de la mise en œuvre de certaines mesures phares, mais ils ont aussi mis en évidence l’urgence d’agir pour limiter l’accélération de la précarité et le basculement dans l’extrême pauvreté des personnes les plus défavorisées. Pour faire face à cette situation, il semble pourtant nécessaire non seulement d'atteindre les objectifs fixés en 2018, mais de les dépasser.

Sophie Caillaud, Pierre-Luc Delage, Laure Manach, 13.11.2020

A lire également :France Relance : quels impacts pour la protection sociale ?

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Crédit photo : Halacious sur Unsplash

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