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RETRAITE & AUTONOMIE

INTERVIEW

Personnes âgées : "Qu'est-ce qu'un passage non pertinent aux urgences ?"

Depuis décembre 2019, YCE travaille avec l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Île-de-France pour améliorer le parcours de prise en charge des personnes âgées dans un contexte d’urgences en région parisienne.

La crise sanitaire souligne encore l’importance de ce projet. Mieux protéger les personnes âgées en adaptant leur prise en charge et en réduisant le nombre de passages évitables aux urgences fait désormais figure de nécessité impérieuse alors que les hôpitaux essuient encore le choc de la deuxième vague, que le personnel médical reste sous tension et que le taux d’occupation des lits en réanimation vient tout juste de passer sous la barre des 80% en Île-de-France.

Deux représentants de l’ARS, le médecin urgentiste Romain Hellmann (responsable du département des soins non programmés de la Direction de l’offre de soins) et Claire Davy (Direction de l’autonomie), ont accepté d’explorer avec nous les enjeux et les ramifications – parfois polémiques – de ce projet : dialogue et coopération entre acteurs de santé, gestion et responsabilité territorialisées, et mise en place d’indicateurs de suivi pour une évaluation sur objectif.

Pouvez-vous décrire en quelques mots le rôle de l’ARS ?

R.H./C.D. : « L’ARS est chargée d’appuyer la programmation, l’organisation, la régulation de l’offre dans les champs sanitaire et médicosocial, de faciliter le dialogue entre la médecine de ville et l’hôpital et de soutenir les pratiques innovantes mises en œuvre sur le terrain. Elle a aussi pour rôle de promouvoir et décliner sur les territoires, en fonction de leurs spécificités, les grands programmes nationaux tels que le Pacte de refondation des urgences.

Les ARS sont en prise avec le terrain. À ce titre, elles facilitent les remontées de difficultés, de solutions et déclinent les orientations nationales en tenant compte des réalités de terrain. »

Ce rôle évolue-t-il en période de crise comme celle que nous traversons ?

R.H./C.D. : « L’ARS fait face à un exercice assez nouveau de production de recommandation d’organisation et d’adaptation des directives nationales aux réalités territoriales, en lien avec état d’urgence.La déclinaison territoriale des directives nationales représente un axe important du travail de l’ARS. L’épidémie se vit en effet différemment selon les régions – la première vague n’a pas été vécue avec autant de force ailleurs en France. Un des principaux enjeux de la crise sanitaire réside ainsi dans la coordination entre les acteurs et les forces en présence pour essayer de surmonter la vague. L’ARS a ici pour mission de mettre en place les conditions nécessaires pour assurer la cohésion entre les différents acteurs de terrain : urgentistes, gériatres (les personnes âgées étant les principales victimes graves du Covid-19), mais aussi entre les hôpitaux. En effet, pour faire face à un tel afflux de malades, réfléchir à l’échelle d’un seul établissement n’est pas envisageable. L’ARS s’est donc donné pour but de casser les barrières et de fédérer les acteurs du soin autour de grands principes dont celui de responsabilité régionale et populationnelle. À titre d’illustration, l’agence a permis la création, en l’espace de 48 heures, d’une cellule de gestion régionalisée des lits permettant de recenser la disponibilité et de la restituer – ce qui représente un défi en soi. Cette cellule a été pérennisée après la première vague et est toujours opérationnelle. La crise a donc servi de catalyseur pour ce sujet présent depuis plusieurs années. Un guide de gestion des lits au niveau régional sera prochainement publié par l’ARS pour préciser les enjeux d’automatisation des données, de création de nouveaux métiers dans les hôpitaux en lien avec la gestion des lits, et de manière générale de nouveaux métiers chargés de créer du lien entre les acteurs. »

Nous travaillons ensemble pour améliorer la prise en charge des personnes âgées aux urgences en Île-de-France. Ce projet est d’autant plus important que les hôpitaux essuient encore le choc de la deuxième vague, que le personnel médical reste sous tension et que le nombre de lits disponibles en réanimation et en médecine dans la région parisienne reste une préoccupation à chaque plan Blanc. Alors quel est le problème aujourd’hui avec la prise en charge des personnes âgées aux urgences ?

R.H./C.D. : « Un des principaux enjeux de la prise en charge des personnes âgées à l’hôpital réside dans la diminution des passages évitables aux urgences. Les orientations nationales (Pacte de refondation des urgences, Rapport Libault) fixent pour objectif d’éviter le passage aux urgences des personnes âgées. En Île-de-France nous avons fait le choix de centrer les actions mises en place en premier lieu sur l’évitement des passages non pertinents aux urgences. Afin de mettre en place un plan d’action permettant de répondre à cet objectif, la première chose à faire est de définir ce que l’on entend par « passage non pertinent aux urgences ». Il s’agit de l'un des objectifs à atteindre lors du séminaire qui sera organisé en janvier avec des représentants des professionnels du parcours de soins de la personne âgée et ce pourquoi nous avons sollicité un étude de YCE Partners avec pour premier objectif l’administration d’un questionnaire auprès de plus d’une centaine de professionnels franciliens des urgences et de la gériatrie.

En effet, chaque professionnel de santé a sa définition de la non-pertinence. À la question « qu’est-ce qu’un passage non pertinent aux urgences ? », un gériatre et un urgentiste n’auront pas nécessairement la même réponse. L’ambition de l’ARS est ainsi de créer un espace de dialogue et de collaboration entre professionnels afin de formaliser des coopérations et recommandations communes. »

En quoi les visions divergent-elles d’un professionnel à l’autre concernant la prise en charge des personnes âgées ?

R.H. : « Un exemple permet d’illustrer ces divergences : l’hospitalisation en service de chirurgie des personnes âgées à l’hôpital en cas de manque de lits en médecine. Tandis qu’un urgentiste, pour ne pas laisser un patient sur un brancard, préférera utiliser un lit plutôt qu’un brancard dans un service, quel qu’il soit, pour éviter une complication aiguë, un gériatre préférera éviter une hospitalisation inadéquate dans un service non adapté à la prise en charge de la personne âgée car potentiellement source d’une dégradation de l’autonomie à moyen terme limitant le retour à domicile. Ces deux points de vues ou appréciations d’une même situation sont vraies et pourtant inconciliables à première vue. Ces oppositions de vision et de gestion de la tension sur les lits entre spécialités ne pourront être résolues que par la discussion et la formalisation de processus de prise en charge de patients selon les pathologies et respectant les enjeux de chacun en remettant le patient au centre des préoccupations.

La crise a eu un effet positif sur ce point : elle a permis d’accentuer la collaboration entre acteurs du parcours de la personne âgée, notamment avec les membres des filières de soins gériatriques et le SAMU. Elle a permis de renforcer des pistes déjà travaillées : les urgentistes et les gériatres ont ainsi conjugué leurs forces dans les établissements franciliens, comme par exemple à l’hôpital Ambroise Paré où a été mis en place depuis plusieurs années un circuit court aux urgences pour les personnes âgées avec formalisation du passage quotidien d’un gériatre au SAU afin de présenter ensuite les patients aux autres services pour faciliter l’orientation de ces patients très âgés. »Quel rôle peut jouer l’ARS pour favoriser le dialogue et les coopérations ?

R.H./C.D. : « L’ARS permet de fluidifier la gestion de la rareté de la ressource : au lieu de laisser chaque établissement ou service gérer ses propres difficultés, elle incite à l’élaboration de solutions communes, mutualisées à l’échelle d’un territoire. Et ces solutions ne se traduisent pas uniquement par l’allocation de fonds supplémentaires.

Pour ce faire, l’ARS fournit des cadres de réflexion au sein desquels les établissements sont libres d’élaborer leur propre feuille de route, adaptée à leurs besoins et à même de résoudre leurs difficultés spécifiques. Le maître mot est la confiance qui est faite aux acteurs de terrain, qui sont ceux qui connaissent le mieux les spécificités de leur territoire et sont les plus aptes à y répondre et à proposer de nouvelles solutions.En contrepartie des financements versés pour la réalisation de ces feuilles de route, l’ARS demande aux acteurs de s’engager sur des objectifs de santé publique. Cette mécanique d’animation de réseau est nouvelle : la fixation d’objectifs de qualité, qui aident à l’amorçage du projet et à l’intéressement collectif de l’établissement à l’objectif, très utilisés dans les systèmes anglo-saxons, en sont encore à leurs débuts en France. Or il s’agit d’un bon levier pour s’améliorer. Il est important que les acteurs de terrain comprennent que l’évaluation sur objectif n’est pas un outil de sanction, mais d’autoévaluation et de dialogue . »

Et comment ces objectifs peuvent-ils être fixés et mesurés ?

R.H./C.D. : « Afin de mesurer l’effet des actions mises en place, il est nécessaire de partager un diagnostic commun et de définir des indicateurs de suivi. C’est un des objectifs de l’étude sur la prise en charge des personnes âgées aux urgences qui a été commandée à YCE Partners ou encore de l’Observatoire des Soins non Programmés en cours d’instauration. Les outils permettant le suivi des politiques mises en place sont aujourd’hui bien plus élaborés qu’ils ne l’étaient il y a quelques années.

L’ARS est donc plus que jamais consciente du fait que les indicateurs ne doivent pas être imposés mais discutés pour respecter la vision de chacun. Par exemple, dans le cadre du suivi des mesures mises en place pour améliorer la prise en charge des personnes âgées, un travail avec publication scientifique est actuellement effectué par l’ARSIF sur la mesure d’utilisateurs multiples des urgences en Ile-de-France (plus de 3 à 4 passages aux urgences pour la même personnes). C’est un phénomène bien étudié dans de nombreux pays mais très peu abordé en France. Il existe des actions de prévention, de détection et d’accompagnement pour ces populations permettant d’avoir un effet structurel sur la consommation des urgences. En Île-de-France, les utilisateurs multiples représentent 7 à 8% des utilisateurs des urgences, mais 30% des passages. Un patient ayant recours itératif, à intervalles réguliers, à la ressource hospitalière, est généralement une personne rencontrant des problématiques médico-sociales d’accès aux soins, souffrant d’isolement, de perte d’autonomie ou d’une maladie chronique mal suivie en ville, et ayant de ce fait besoin d’un accompagnement adapté. Ces patients mettent souvent en échec les professionnels et il faut y voir un symptôme d’une difficulté du système de santé à apporter une réponse globale et coordonnée.

Ainsi, mesurer les variations de taux de recours fréquent aux urgences dans les différentes communes franciliennes pourrait être un indicateur de l’efficacité de ce qui va être mis en place dans le cadre de la mesure 5 du Pacte de refondation des urgences (« Généraliser des parcours dédiés aux personnes âgées pour éviter les urgences »), mais, là encore, cela implique un échange préalable entre professionnels. »

Sophie Caillaud, Maud Le Bolloch, 01.12.2020

Crédit photo : Mufid Majnun sur Unsplash

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