RECRUTEMENT
Non, après la crise tout le monde ne changera pas de vie. Et c’est pas grave.
D’après une étude parue récemment, 42% de la population aspire à changer de vie après la crise du coronavirus. Claire Morel s’y connait en changements de vie. En 2017, elle quitte Paris pour reprendre une fabrique de structures métalliques en tout genre dans un petit village du Limousin. Consultante, artisane (une « néo-rurale » comme disent les journalistes), Claire est aussi une pro de l’écoute. Tous les trois mois, c’est donc ce qu’elle fait : elle nous écoute et nous aide à traverser les hauts et les bas du métier de consultant. Pendant le confinement, c’est le témoin privilégié de nos questionnements et parfois de cette remise en question dont certains disent, à tort ou à raison, qu’elle sera générale et fracassante.
Claire raconte son parcours original, décrit son rôle chez nous, ce que la crise a changé et comment elle pourrait bouleverser notre rapport au travail… ou pas.
/Peux-tu parler de ton parcours ?
C.M. "Diplôme de Science-po Lille et Master 2 en droit public de l’entreprise en poche, j’ai démarré ma vie professionnelle en 2007 en tant que consultante en management pour le Secteur public. Dès lors, je n’ai jamais vraiment cessé d’être consultante, même si j’ai exploré depuis d’autres terrains professionnels ou d’autres façons de faire.De 2012 à 2015 par exemple, j’ai assuré le Secrétariat général du Centre d’accès sécurisé aux données, une infrastructure de recherche en sciences sociales, à partir de 2015, j’ai réintégré un cabinet de conseil, YCE Partners, mais à temps partiel, et depuis 2017, je suis consultante free-lance.
Durant ce parcours, quelque chose en moi exigeait de la liberté de façon croissante, du temps libre pour goûter à d’autres saveurs, du temps pour apprendre, du temps pour créer. Tout en continuant à être consultante, et grâce au soutien de personnes à l’écoute de mon projet, j’ai pu approfondir des chemins plus personnels tels que la psychanalyse ou l’artisanat. Tous ces chemins ont pris corps dans un projet entrepreneurial singulier.
Ce parcours trouve sa cohérence dans l’écoute et la découverte de soi. Nous sommes le dénominateur commun de toutes les expériences de vie qui s’offrent à nous et j’observe que toutes les activités que je pratique simultanément, mais en offrant à chacune ma pleine présence, se nourrissent, se complètent, s’enrichissent les unes les autres."
/Pourquoi es-tu revenue ?
C.M. "J’ai quitté ma fonction de consultante salariée chez YCE en 2017. Près de 3 ans plus tard, YCE m’a proposé de poursuivre le dispositif de coaching qui était d’ores et déjà initié auprès des consultants. Il y avait je crois 3 raisons à cela : je connais le métier, je connais le cabinet, et j’ai pu approfondir "l’étude de l’être". Cette proposition est un écho aux divers chemins que j’ai pu explorer."
/Comment décrirais-tu ton rôle chez YCE ?
C.M. "Mon rôle est de faire en sorte que chacun se sente bien et que le grand ensemble que forme YCE soit le plus harmonieux possible. Ce rôle se décline au niveau individuel et au niveau collectif.Au niveau individuel, ma mission est d’accompagner les consultantes et consultants dans la recherche ou le maintien de leur bien-être professionnel.
Au niveau collectif, l’idée est de mettre en place des ateliers dont les thématiques porteraient sur les notions de "l’être" dans ce métier et sur l’analyse des pratiques professionnelles.Ce métier est riche et fait appel à beaucoup d’aptitudes qui ne peuvent être apprises à l’école, elles sont bien souvent implicites et les mettre collectivement en lumière est bénéfique."
/Comment se passe un rendez-vous avec toi en temps normal ?
C.M. "L’idée de ce dispositif est de se rencontrer à intervalle régulier, à un rythme trimestriel généralement. Hormis ces rendez-vous planifiés à l’avance, il est naturellement possible d’échanger de façon informelle, par téléphone, par mail, sur les éventuelles préoccupations du moment. Je tiens beaucoup à cette spontanéité, car elle très connectée à ce qui est vivant, là, sur l’instant. Nous en sommes au lancement de la démarche. A ce jour, j’ai pu rencontrer la quasi-totalité des consultantes et consultants une première fois, pour faire connaissance et commencer à ébaucher les pistes de travail. Certains ont une idée très précise de ce qu’ils souhaitent travailler, d’autres n’ont pas eu de sujet précis à évoquer, mais aiment l’idée de bénéficier de cette possibilité de prendre du recul, de faire un pas de côté sur leur métier et de pouvoir aborder une problématique en cas de survenance.
Un rendez-vous débute par un rappel des sujets évoqués lors de la rencontre précédente et sur une « mise à jour » de ce qui a pu être vécu et ressenti autour de ces thématiques dans l’intervalle. Il peut m’arriver parfois de confier des travaux de réflexion d’une séance à l’autre, alors il s’agit également de faire le point sur ces travaux. Si une autre problématique a émergé depuis la rencontre précédente, nous pouvons naturellement l’aborder. Je m’adapte à la demande et à la priorité de chacun. En fil rouge néanmoins, au-delà de l’éventuelle variété des sujets abordés, restent l’analyse et la connaissance de chacun, qui permettent d’établir une unité.
La matière première de ces rendez-vous, c’est le discours, ce qui est dit, partagé, vécu, c’est une matière première riche et vivante. Et ces mots trouvent une écoute, une oreille qui est là pour eux, qui leur est dédiée, dévouée, une oreille qui permet, qui libère, qui ne juge pas, qui est "neutre et bienveillante". Ensuite, nous questionnons, creusons, ouvrons, tentons si nécessaire de poser les choses différemment. Toutes les situations vécues sont avant tout des rendez-vous avec soi-même, et ce sont ces rendez-vous que l’on essaie de relire et de comprendre ensemble, pour apporter une lumière nouvelle et si besoin, de l’apaisement. Cette relecture aura un impact sur le vécu mais aussi sur les éventuelles situations analogues futures. Ce qui est porté à la conscience est définitivement acquis et vient enrichir une capacité intérieure à traverser une expérience sereinement."
/Qu’est-ce qui a changé depuis le début de la crise ?
C.M. "Les rencontres qui devaient avoir lieu "en présentiel" se sont faites en visio. Certains ont préféré attendre la fin du confinement et des restrictions pour se rencontrer "en vrai". Désormais, on se parle à travers un écran, quand la connexion le permet, dans un nouveau décor où parfois des chats surgissent. Globalement, on ressent une aisance à s’adapter à ces nouveaux usages, mais assurément, le discours change. Les questions de début d’entretien mentionnent toutes les conditions de confinement. Sur le plan de l’exercice du métier de consultant, il serait intéressant de savoir si ce changement va plus loin. Mon discours professionnel change-t-il ? Ma voix est-elle plus assurée ou plus lointaine ? Ce changement de décor révèle-t-il ou soutient-il une nouvelle façon d’être, de me positionner ? Qu’est-ce qu’il nourrit en moi ? Si cela me fait me sentir bien, pourrai-je conserver cette nouvelle façon d’être si demain je réintègre le décor de mon client ou du bureau ? Si oui, comment ?"
/As-tu remarqué une différence dans les attentes de ceux qui ont fait appel à toi ?
C.M. "Le confinement et ce climat peuvent faire naître des questionnements sur la gestion du stress ou des réflexions sur le changement brutal de rythme et de décor pour des vies parisiennes trépidantes, où le domicile était un endroit relativement peu fréquenté. Des questions portent aussi sur l’insécurité et l’incertitude qui pourraient naître d’une crise économique demain."
/Et demain, le retour à la normale ? Ou bien pressens-tu des changements dans le rapport au travail, et le rapport à soi au travail ?
C.M. "Cette période est particulière, et il est probable qu’elle offre plusieurs floraisons. Outre ce que j’évoquais sur le changement de décor, il y aura des fruits qui seront à cueillir immédiatement, et d’autres qui n’en sont aujourd’hui qu’au stade de la semence, qui seront mûrs plus tard. Mais tout part de soi, du "terreau intérieur" et il est difficile de dire comment chacun va être affecté, dans le domaine professionnel, comme dans tous les autres domaines de l’existence. Pour certains, des désirs de changement déjà bien dessinés s’en trouveront renforcés, pour d’autres, le retour "à la normale" sera un soulagement. D’autres désirs pourraient encore éclore, à notre insu, "dans l’obscurité, dans l’ineffable, dans l’inconscient, dans cette région où notre propre entendement n’accède pas" (Rilke). Dans tous les cas, une capacité d’adaptation à tous les changements qui pourraient survenir sera de mise, que ces changements soient individuels, sociaux, économiques, voulus ou non."Retrouvez Claire sur son site, Atelier Jour de Lune.
Lucas Schneider, le 05/05/2020.