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RETRAITE & AUTONOMIE

INTERVIEW

F. Coutard (Agirc-Arrco) : « Imaginer que demain la retraite des Français reposera majoritairement sur la capitalisation est une erreur »

La réforme des retraites pourrait sortir « transformée » de la crise du Covid-19, annonçait récemment Emmanuel Macron. À quoi ressembleront-elles, alors, les retraites de demain ? Nous avons posé la question à Frédéric Coutard, Directeur Retraite de l’Agirc-Arrco, la retraite complémentaire de 32 millions de salariés et cadres. Il en dessine les contours souhaitables et partage son point de vue sur l’avenir de la retraite par capitalisation en France, aussi appelée « retraite supplémentaire »*. Souvent opposés, les régimes de retraite obligatoire et les acteurs de la retraite supplémentaire sont-ils condamnés à se regarder toujours en chiens de faïence ?

À quoi ressemblera selon vous la retraite de demain ?

Demain, préparer la retraite devra rester obligatoire. « Pour commencer, je crois que préparer la retraite devra rester largement obligatoire. La vieillesse est un risque – au sens assuranciel – bien plus long que les autres. À 20 ans on ne pense pas à sa retraite, et pourtant ce n’est pas à 60 ans que se construisent les moyens de subsistance pour les dernières décennies de la vie… C’est en particulier pour protéger les jeunes générations, qui ont bien d’autres préoccupations plus immédiates, que la cotisation retraite devra rester obligatoire. »Dans un contexte d’incertitude économique, la retraite de demain devra reposer encore sur la répartition.

« Je crois que le système de retraite de demain devra continuer à reposer largement sur la répartition. La capitalisation pourra la compléter mais la répartition devra rester la règle selon moi. Pourquoi ? Parce qu’elle crée de la solidarité entre les générations et permet d’amortir les aléas de l’économie dans le temps. Tout le monde ne peut pas profiter de 30 ou 40 ans de prospérité économique et s’assurer une retraite confortable. La répartition permet de partager la richesse économique qui se crée entre les différentes générations et d’assurer aux retraités un niveau de vie décent malgré les cycles économiques.Réciproquement, la retraite par répartition permet de répartir les efforts à faire entre les générations. Couplée à une gestion par points, la retraite par répartition fait le lien entre cotisations versées et droits acquis pour chacun, au travers d’un « compte de points ».

Au-delà même du principe de la répartition, il est ainsi possible d’imaginer des systèmes différents, en fonction du niveau de solidarité que l’on souhaite avoir entre les générations, entre les secteurs économiques, entre les hauts et bas revenus, avec ceux qui ont eu des carrières hachées, avec ceux qui ont connu des accidents de la vie, etc. En cela, ce sont des choix de société que nous faisons, le plus souvent sans en être conscients, à chaque réforme des retraites. »

Y a-t-il une place pour la capitalisation dans la retraite de demain ?

Les freins au développement des produits de retraite supplémentaire. « Imaginer que demain la retraite des Français sera issue à 80% de la capitalisation et à 20% de la répartition, c’est faire fausse route selon moi. Cela pour plusieurs raisons : le retour sur investissement des produits actuels d’épargne retraite, la capacité d’épargne des Français, leur allergie aux placements plus risqués en période de crise économique et enfin la concurrence des autres produits d’épargne comme l’assurance-vie. Au fond la retraite supplémentaire souffre non seulement de la concurrence de la retraite obligatoire mais de tous les autres produits d’épargne collectifs et individuels. »

Les conditions de possibilité. « La retraite supplémentaire pourrait se développer par une décision politique qui réduirait la place de la retraite obligatoire. Si par exemple il était annoncé demain qu’il n’y avait plus ni cotisations obligatoires ni droits au-delà d’un certain plafond alors la retraite supplémentaire pourrait se développer, d’ailleurs possiblement au travers de dispositifs conventionnels obligatoires. Rappelons-nous qu’à l’origine l’Agirc et l’Arrco sont issus de dispositions conventionnelles obligatoires face au constat que la retraite de base était insuffisante... Mais il faudrait aussi orienter activement l’épargne des Français vers les produits d’épargne retraite par des mesures plus incitatives qui les rendraient plus attractifs que les autres produits d’épargne comme l’assurance-vie, le plan d’épargne entreprise, etc. La destination des placements d’épargne retraite pourrait constituer un autre argument de conviction des épargnants si ces placements profitaient exclusivement, par exemple, à l’économie française… Épargner pour sa retraite deviendrait alors une sorte d’acte civique en participant à la relance économique, à la relocalisation ou au développement durable. Tout est possible. »

Régimes de retraite obligatoire et acteurs de la retraite supplémentaire s’accordent au moins sur ce point : la retraite de demain se prépare aujourd’hui. Alors, pourquoi et comment intéresser les actifs ?

Les actifs ne s'intéressent pas suffisamment tôt à la retraite et n’anticipent pas l’impact de leurs choix de vie et de carrière.  « Encore une fois, on ne commence à penser sérieusement à sa retraite que dans les derniers temps de sa vie active. Mais la réalité, c’est que tous nos choix – expatriation, temps partiel, congé maternité, création d’entreprise… – peuvent avoir des conséquences sur notre retraite. Les droits fluctuent en fonction de ces choix, et c’est ce qu’il est difficile de faire comprendre aux plus jeunes notamment. Il y a trop de distance entre l’événement et ses conséquences possibles. Et puis la retraite est un événement qui ne survient qu’une fois dans la vie, alors cela se prépare. »

Comment accompagner les individus tout au long de leur vie active ?  « Devant ce constat, une solution se dessine naturellement : accompagner les individus tout au long de leur vie active, et pas seulement à l’approche ou après le passage à la retraite. C’est ce que nous tâchons de faire, par exemple au travers d’un simulateur qui permet à 99,9% des actifs de faire le point sur leurs droits, d’estimer le montant de leur future retraite et d’envisager un âge de départ à la retraite en fonction de leur parcours professionnel passé, présent et prévisible. La prochaine étape, c’est peut-être d’informer spontanément les actifs lorsqu’ils déclarent un événement comme un départ à l’étranger, un passage à temps partiel, etc. pour leur permettre d’anticiper au mieux les impacts de ces choix sur leurs droits futurs. En tout cas il y a peut-être là une complémentarité possible entre les régimes de retraite obligatoire et les acteurs de la retraite supplémentaire : il est contreproductif de les opposer sans cesse. Les acteurs de la retraite supplémentaire pourraient par exemple s’appuyer sur les projections personnalisées du simulateur des régimes de retraite obligatoire pour dire à leurs clients : « pour compléter votre retraite ou pour partir plus tôt avec tel niveau de pension, voici la marche à suivre ». Encore une fois, tout est possible. »

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Lucas Schneider, Mariana Martins, 23.07.2020

*En France, on distingue la retraite de base et la retraite complémentaire, toutes deux obligatoires, de la retraite supplémentaire, facultative, issue de la capitalisation au travers de produits comme le plan d’épargne retraite collectif (PERCO) ou le plan d’épargne retraite individuel (PERi).

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