RETRAITE & AUTONOMIE
Il a porté le projet de réforme des retraites en 2020 : la parole à Laurent Pietraszewski, Secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au Travail (2019-2022)
Réforme des retraites : à quelques jours du début de l’examen du texte de loi dans l’Hémicycle, Laurent Pietraszewski, Secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail entre 2019 et 2022, nous livre ses analyses. Bien-fondé et conditions de réussite de la réforme, rôle des entreprises, emploi des séniors et âge de départ, il répond à nos questions.
Pour commencer, une question qui s’impose : le projet actuel de réforme des retraites, vous en pensez quoi ?
En définitive, la réforme devrait aboutir à une protection sociale durable pour tous et libérer des marges de manœuvre du budget de l’Etat pour investir dans d’autres secteurs importants : la santé, la dépendance ou l’éducation.
C’est une réforme classique qui s’appuie sur des fondamentaux qui ont déjà été expérimentés dans notre pays, à savoir le décalage de l’âge d’ouverture des droits et l’accélération de la durée de cotisation, qui sont deux leviers qui doivent permettre de rééquilibrer un système en déséquilibre structurel depuis 2008, la période 2021-2022 mise à part. Cet effort demandé à tous les actifs est compensé par des mesures sociales au profit de ceux qui perçoivent le moins. Cet éventail de mesures devrait avoir des conséquences positives sur le maintien dans l’emploi des 55-64 ans et produire de la richesse collective du fait de l’augmentation du volume des cotisations et de la baisse des dépenses de retraite.
En définitive, la réforme devrait aboutir à une protection sociale durable pour tous et libérer des marges de manœuvre du budget de l’Etat pour investir dans d’autres secteurs importants : la santé, la dépendance ou l’éducation.
Il me semble que la réforme va dans le sens de notre contrat social en préservant le système par répartition. Pourtant, force est de constater qu’elle est perçue négativement par la plupart des Français.
Cela s’explique principalement par un changement dans leur rapport au travail qui repose sur trois évolutions majeures :
- Une productivité française élevée par rapport aux pays voisins et une intensité au travail très forte, conséquence du chômage de masse historique depuis plus de 35 ans et de la réduction du temps de travail, de 39 à 35h. Ce niveau d’intensité au travail n’est sans doute pas étranger au fait que notre taux de burn-out soit parmi les plus élevés en Europe (cf. schéma ci-dessous)
- Une diminution des temps conviviaux et "neutres" ; c’est durant ces moments que se construit la convivialité et le collectif de l’entreprise, ils sont nécessaires à la qualité de vie au travail.
- Enfin la quête de sens au travail et la nécessité pour l’entreprise d’apporter des réponses individualisées aux aspirations des nouvelles générations d’actifs.
Les salariés veulent être considérés comme des acteurs du projet d’entreprise dont il faut prendre soin.
Pour recréer du sens au travail et ainsi fidéliser les salariés mais aussi attirer de nouveaux collaborateurs, trois leviers sont accessibles aux entreprises :
- Expliquer et afficher, en tant qu’employeur et entrepreneur, les valeurs qui vous anime car la relation employeur-employés est une rencontre des consentements sur la base de valeurs partagées ;
- Proposer un contrat moral dans l’entreprise reposant sur ces valeurs et s’appuyant sur l’encadrement intermédiaire, considéré comme un relai, mais aussi instaurer la transparence et encourager la libre parole ;
- Enfin concrétiser cet engagement par des preuves. Les salariés veulent être considérés comme des acteurs du projet d’entreprise dont il faut prendre soin et cela dans tous les sens du terme. Il faut aller au-delà de la santé au travail et investir dans la santé individuelle des salariés en répondant à leurs besoins d’accéder à des professionnels de santé (kinésithérapeutes, médecins généralistes, ophtalmologistes…). Il faut aussi œuvrer pour la santé mentale au-delà de la prévention indispensable des risques psycho-sociaux. Au Canada, les entreprises sont dotées de "sentinelles" formées à détecter des situations de mal-être. C’est un exemple à suivre.
En France le taux d’emploi des séniors laisse à désirer et c’est précisément une des cibles de la réforme. Que pensez-vous de cette problématique ?
Une étude publiée en février 2022 par l’Agirc-Arrco nous apprend que, parmi les personnes qui liquidaient leur retraite en 2020, plus de 60% étaient encore en activité, 11,5% au chômage, 6,2% en situation d’invalidité ou inaptitude et près de 20% en dehors des radars.
Dans notre pays, il manque une politique publique forte en faveur des travailleurs expérimentés qui doit s’appuyer sur deux leviers :
- D’abord sur la relance des négociations de branches et d’entreprise sur l’emploi des seniors, avec une autre vision que celle du contrat de génération : il est extrêmement réducteur de limiter la compétence du travailleur expérimenté au "parrainage". Ils ne sont pas seuls à pouvoir accompagner d’autres salariés et disposent aussi d’autres types de compétences. Il faut pouvoir dire que nous voulons construire une politique de vieillissement actif au travail.
- Ensuite sur la renégociation et l’aménagement des fins de carrière : les accords d’entreprise et de branches doivent identifier les métiers à plus forte sinistralité et les mesures adéquates de surveillance médicale et d’accompagnement relatives aux conditions de travail. Le fonds sur la prévention doit être orienté prioritairement vers ces métiers-là. Dans beaucoup de pays on construit une fin de carrière active qui laisse une place à la vie associative et familiale mais tout l’enjeu est de rester aussi dans l’emploi. Il conviendrait également de revoir la fiscalité qui pèse sur l’employeur en cas de retraite anticipée (contribution de 50% sur les indemnités de mise à la retraite) pouvant aboutir à ce que le coût de départ à la retraite soit plus élevé que dans le cadre d’un licenciement.
Le projet de réforme porte différentes mesures touchant à l’emploi des séniors : évolution sur le cumul emploi-retraite qui ouvrira désormais des droits, accès à la retraite progressive facilité et ouvert aux fonctionnaires, limitation de la perte de rémunération en cas de reprise d’une activité, "index seniors", etc. Qu’en pensez-vous ? Identifiez-vous d’autres pistes pour rendre attractive l’embauche des seniors et leur valorisation au sein des entreprises ? Pourrait-on s’inspirer d’autres systèmes européens ?
Je défends l’idée d’un grand projet de loi sur le vieillissement actif au travail et la création d’une délégation interministérielle à l’emploi des seniors.
Les mesures sur le cumul emploi-retraite, la retraite progressive, l’index seniors vont dans le bon sens et alimenteront cette politique de vieillissement actif que j’appelle de mes vœux.
Toutefois ces éléments ne sont pas suffisants car les enjeux vont bien au-delà et doivent faire l’objet d’échanges avec les partenaires sociaux. Je défends l’idée d’un grand projet de loi sur ce sujet et la création d’une délégation interministérielle à l’emploi des seniors, qui porterait de façon transverse une transformation sociétale.
Selon les chiffres 2020 publiés par la DREES, l’espérance de vie en bonne santé s’élève à 65,9 ans pour les femmes et 64,4 ans pour les hommes. Étant donné le recul de l’âge de départ prévu par la réforme, qu’est-ce que ces chiffres vous évoquent ?
La question n’est pas seulement l’âge auquel on part à la retraite mais l’âge auquel on peut partir en retraite en bonne santé.
L’espérance de vie en bonne santé est un indicateur intéressant qui croise à la fois des données statistiques classiques sur l’espérance de vie et un questionnaire qualitatif sur l’existence ou non d’une pathologie perçue comme handicapante dans la durée par la personne qui en souffre.
Et en effet la question n’est pas seulement l’âge auquel on part à la retraite mais l’âge auquel on peut partir en retraite en bonne santé.
L’employeur a une grande responsabilité en la matière, s’agissant aussi bien de prévention que de conditions et outils de travail, et doit être acteur de la santé de ses employés, particulièrement dans les métiers à forte sinistralité pour prévenir l’usure au travail, garantir le maintien dans l’emploi des seniors et accompagner les projets de reconversion.
Enfin plus globalement M. Le Ministre, chez YCE nous pensons que pour qu’une réforme des retraites fonctionne, quatre exigences sont indispensables et liées : une exigence d’équilibre financier des régimes, une exigence d’équité (régimes spéciaux, secteur public/privé, égalité femmes-hommes…), une exigence d’innovation (rôle des séniors dans l’entreprise, gestion des fins de carrière…) et enfin une exigence de confiance, notamment celle des jeunes. Partagez-vous ces convictions ? Estimez-vous que la réforme en cours tend à s’inscrire dans cette logique ?
Nous avons besoin de comprendre ce que le gouvernement envisage pour maintenir dans l’emploi ceux qui peuvent y rester et ceux qui sont prêts à s’adapter.
Je partage ces convictions.
En effet équilibrer dans la durée notre système par répartition est la meilleure façon d’alimenter la confiance que nous appelons de nos vœux. Il ya beaucoup de pédagogie à faire sur ce sujet.
Concernant l’équité, il est évidemment nécessaire de simplifier le maquis inextricable de notre système de retraite : il existe à ce jour 42 régime set presque autant de caisses spécifiques, des taux de cotisations différenciés et bien d’autres complexités. Cette réforme apporte quelques éléments de simplification avec la fin de certains régimes spéciaux, à l’image de ce que nous défendions en 2019 même si nous sommes loin d’un système universel.
Quant à l’innovation sociale, c’est là où le gouvernement est le plus attendu car nous avons besoin de comprendre ce qu’il envisage pour maintenir dans l’emploi ceux qui peuvent y rester et ceux qui sont prêts à s’adapter : il me parait indispensable d’aménager les fins de carrière et d’inciter à négocier des accords d’entreprise qui vont permettre aux seniors d’avoir leur place au travail et de la conserver.
Propos recueillis par Anthony Salic et Anne Clausse.