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IMPACT SOCIAL

INTERVIEW

[CSRD & Assurance de personnes] Package Omnibus : une pause à mettre à profit !

Le package omnibus, un coup d’arrêt pour le reporting de durabilité dans l’assurance de personnes ?

La Commission européenne a dévoilé le package omnibus I le 26 février visant à simplifier la réglementation afin d’assurer la compétitivité des entreprises européennes. Ce package contient des propositions d’évolutions importantes pour la CSRD(Corporate Sustainability Reporting Directive), directive phare qui introduisait de nouvelles obligations en matière de reporting de durabilité.

YCE Partners fait le point sur les modifications prévues, leurs impacts pour les acteurs de l’assurance de personnes déjà engagés dans un projet de conformité et les enjeux stratégiques à anticiper.

Contexte et modifications prévues

La CSRD impose aux grandes entreprises de publier un reporting de durabilité à partir de 2025sur les données 2024. Ce reporting repose sur des normes thématiques ESRS(European Sustainability Reporting Standards) qui définissent les méthodologies et les points de données à inclure en matière d’Environnement, de Social et deGouvernance (ESG).

Les nouveautés introduites par la CSRD :

  • Un champ d’application plus large, avec un calendrier d’application en plusieurs vagues. Les entreprises de la première vague, c'est-à-dire celles dépassant deux des trois seuils suivants : 500 salariés, 40 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 20 millions d'euros de total de bilan, doivent publier leur reporting dès 2025 sur les données 2024.
  • L’introduction du concept de double matérialité, prenant en compte à la fois l’impact des entreprises sur les enjeux ESG et les risques/opportunités financiers liés à ces enjeux.
  • Un renforcement des obligations de vérification et d’audit des informations publiées.

La CSRD se voulait donc une incitation pour les entreprises à prendre en compte les enjeux ESG dans leur stratégie, elle se traduit cependant par une complexité de mise en œuvre importante, et de nombreux points de donnée à collecter et publier.

Dans ce contexte, le package omnibus I prévoit plusieurs mesures, dont :

  • Un "stop the clock" qui suspendrait temporairement les obligations de publication pour les entreprises non concernées par la vague 1. Le report de deux ans a été adopté suite au vote du parlement européen le 3 avril 2025. La commission mixte paritaire a validé ce report dans le droit français dans le cadre de la négociation sur la DDADUE.
  • Une proposition de directive modifiant la CSRD, qui devrait être accompagnée d’actes délégués :
       
    • Une révision du périmètre d’application : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés seraient concernées, excluant ainsi certaines entreprises initialement soumises à la vague 2.
    •  
    • Une simplification des obligations de reporting, avec une réduction du nombre de data points à renseigner, notamment pour les données qualitatives.
    •  
    • Pour les entreprises exclues du périmètre, une norme volontaire basée sur vSME proposé par l’EFRAG pourrait être mise en place.
    •  
    • Audit : les obligations actuelles d’audit limité resteraient en place, sans passage à un niveau de vérification plus contraignant (assurance raisonnable).

Cette proposition doit faire l’objet d’échanges avec un horizon d’adoption probable d’ici fin d’année/début 2026

L’éclairage de Marie Devaine, Associée en charge de l’offre durabilité chez YCE partners

Comment les acteurs de l’assurance de personnes abordent-ils ce report et les assouplissements ?

"Le fait que le stop the clock ait été adopté rapidement et soit transposé de manière cohérente en droit français permet de clarifier la situation réglementaire jugée très instable il y a encore quelques semaines. Chez nos clients, notamment chez ceux déjà bien engagés dans la démarche de mise en conformité et qui prévoyaient de publier dès 2026, les annonces de l’omnibus ont apporté beaucoup d’incertitude : fallait-il mettre en suspens les travaux au risque de se retrouver en non-conformité si la France ne transposait pas ce report suffisamment rapidement ?

Concernant les assouplissements annoncés, le contenu reste à valider et des incertitudes importantes demeurent tant au niveau européen qu’au niveau national. Au niveau européen, de nombreuses négociations pourraient avoir lieu en lien également avec les autres réglementations visées (CS3D, taxonomie) et le rapport de force sera déterminant. La majorité actuelle, alignée avec la Commission Von der Leyen, défend un compromis entre ambition climatique et simplification réglementaire mais une poussée des forces plus conservatrices pourrait aboutir à un démantèlement plus large des obligations de reporting. La transposition en loi française, qui peut rester plus ambitieuse, dépendra également du contexte politique. Ainsi il est difficile d’anticiper les évolutions qui seront apportées tant au niveau des seuils d’exigibilités que des exigences de publications et des datapoints.

Quel impact pour les acteurs qui avaient prévu de produire un rapport de durabilité conforme à CSRD ?

"On constate plusieurs cas de figure : certains acteurs étaient déjà soumis à la première vague et restent donc concernés par les normes ESRS et l’obligation de reporting. D’autres avaient prévu une publication volontaire dès 2025, en avance de phase. La plupart de ces acteurs volontaires continuent leurs travaux et ont bien prévu la publication d’un rapport. Concernant les autres acteurs qui prévoyaient un reporting à partir de 2026, la question se pose de maintenir un reporting conforme aux normes publiées ou un format allégé davantage aligné sur le standard vSME, sachant qu’à terme ils pourraient n’être plus du tout concernés par l’obligation de reporting si les seuils d’application sont relevés, ce qui parait très probable.

Ce standard doit servir de base de travail pour la définition d’une norme volontaire au niveau européen, mais à date le standard vSME publié par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) ne donne pas une place centrale à la double matérialité. Or, certains acteurs se sont engagés dans une analyse de double matérialité et souhaiteraient la valoriser.

Nos recommandations pour le secteur de l’assurance de personnes : au-delà de CSRD, aligner durabilité et performance métier

Le report de deux ans de l’entrée en vigueur de CSRD pour les entreprises non soumises à la première vague leur permettra de temporiser leurs travaux de collecte de données le temps que la révision des ESRS soit stabilisée.

Cependant, l’assurance de personnes joue un rôle clé dans la protection sociale et doit intégrer les enjeux de durabilité non seulement comme sous l’angle de la contrainte réglementaire mais comme un levier stratégique. Les acteurs du secteur, y compris ceux qui pourraient ne plus être soumis à CSRD peuvent s’appuyer sur les premiers travaux initiés dans le cadre de CSRD, notamment l’analyse de double matérialité comme tremplin pour développer ces enjeux dans leur stratégie :

  • Intégrer les enjeux ESG dans l’offre santé et prévoyance :
       
    • Prendre en compte les risques liés aux crises climatiques et sociales : par exemple adapter les garanties et services aux évolutions climatiques et sociétales (risques accrus liés aux maladies chroniques, aux vagues de chaleur ou encore au vieillissement démographique).
    •  
    • Verdir les offres : renforcer la prévention via des dispositifs innovants, prendre en compte des critères ESG pour la contractualisation avec les réseaux de  soins, promouvoir l'éco-conception et le réemploi des dispositifs médicaux etc.
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  • Proposer des offres épargne retraite plus durables : garantissant un niveau de revenu décent à la retraite tout en finançant la transition écologique.
  • Investir de manière responsable : Déployer une stratégie d’investissement alignée avec les critères ESG pour les fonds de retraite supplémentaire, mais aussi pour les réserves prudentielles des acteurs santé et prévoyance, garantissant ainsi une cohérence entre engagements financiers et durabilité.
  • Utiliser le reporting comme une opportunité de transparence et de différenciation : Même en cas d’assouplissement réglementaire, structurer un reporting volontaire cohérent avec la stratégie RSE et valorisant l’analyse de double matérialité peut renforcer la confiance des parties prenantes (assurés, entreprises clientes, investisseurs). Cette approche permet aussi de valoriser des activités spécifiques à certains acteurs ayant un impact sociétal fort (ex. activités d’action sociale). Ainsi, en fonction des travaux initiés, l’opportunité de publier volontairement un reporting de durabilité dès 2026 pourra être évaluée.

Conclusion

Le package omnibus I marque un tournant dans l’application de la CSRD, avec une promesse de simplification. Les prochains débats parlementaires sont donc à surveiller. Cependant, au-delà des enjeux de mise en conformité réglementaire, les acteurs de l’assurance de personnes ont tout intérêt à poursuivre leurs travaux pour un meilleur pilotage des enjeux de durabilité qui sont intrinsèquement liés à leur cœur de métier : assurance santé, prévoyance et retraite supplémentaire.

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