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Entretien de Jérémy PEREIRA – Mercer
Article – entretien J. PEREIRA – Mercer
« Prendre soin de l’environnement, c’est prendre soin de la santé ».
En 2024, Yce Partners a chargé un groupe d’étudiants de l’ESSEC d’investiguer les opportunités de verdissement des offres en assurance de personnes. Leurs travaux les a conduits à interroger les acteurs de référence du secteur sur leur vision des enjeux liés au changement climatique et plus largement environnementaux pour leur activité.
Jérémy Pereira a accepté de nous offrir son éclairage. Il est responsable de la direction “Offre & Relations Assureurs” chez Mercer en charge de la stratégie du département “Santé & Prévoyance” et de l’offre de conseil, de prévention, d’innovation et de services. Dans le cadre de son Executive MBA il a pu se pencher plus particulièrement sur les liens systémiques entre prévention et changement climatique.
Comment Mercer France prend-il en compte les risques climatiques ?
Mercer appartient au groupe international “Marsh & McLennan Companies”. Mercer France conseille et accompagne des entreprises dans la gestion de leurs ressources humaines y compris dans le domaine de l’assurance collective santé / prévoyance.
Nous avons une approche transverse de la RSE. Il n’y a pas de direction dédiée à la RSE : la RSE est traitée aussi bien par la direction des ressources humaines que par chaque direction de services. La stratégie de responsabilité sociale et environnementale (RSE) est décidée au niveau du groupe et déclinée dans les différentes filiales. L’idée est que chaque direction mette en place ses actions pour l’atteinte de l’objectif du groupe “Net zéro d’ici 2050” notamment via des investissements durables.
Certains projets liés aux enjeux environnementaux naissent également d’évolutions réglementaires. Par exemple, en ce moment, la direction des affaires financières travaille sur l’application de la directive européenne “Corporate sustainability reporting directive” (CSRD), une directive qui fait évoluer le reporting des performances non financières et qui se veut ambitieuse sur le volet environnemental.
Plus largement les enjeux RSE sont de plus en plus présents dans le cadre de nos missions de courtage et de conseil RH.
Comment contribuez-vous à votre niveau à un système de santé moins carboné ?
Mercer ne représente pas un maillon direct du système de santé. Cependant, nous disposons d’un levier d’action via nos activités de conseil auprès des entreprises à travers les actions de prévention.
Or, un système de santé davantage orienté vers la promotion de la santé et la prévention c’est un système de santé moins consommateur en soins (médicaments, dispositifs médicaux).
Ceux-ci peuvent être très polluants et émetteurs de gaz à effet de serre comme le montrent les travaux du Shift Project. Décarboner le système de santé permet également d’alimenter une boucle de rétroaction positive : prendre soin de l’environnement c’est prendre soin de la santé.
En France, le système est tourné vers le curatif, le métier de « préventeur » n‘existe pas. La prévention santé est portée par différents acteurs diffus. L’assurance maladie peut porter de grands plans nationaux mais les actions de prévention ont toute leur pertinence à une échelle territoriale (comme avec les créations de CPTS) ou à l’échelle des entreprises.
De quels leviers disposez-vous pour développer la prévention ?
En matière de prévention, Mercer mène une politique ambitieuse notamment grâce aux datas. Nous disposons des données de santé pour environ un million et demi de personnes en France. Nous utilisons ces données pour proposer une offre aux entreprises de prévention pour la santé et la sécurité au travail des salariés. Nous développons un programme sur « La prévention, la promotion de la santé et juste soins » qui permet de donner un faisceau d’indices aux entreprises sur leurs salariés en termes de comportement vis-à-vis du système de santé. Ces comportements couvrent une quinzaine de dimensions : santé bucco-dentaire, troubles musculaires, risques psycho-sociaux etc. On croise les données de consommation de soin avec les lieux de vie des salariés ce qui permet un couplage avec des informations sur les déserts médicaux par exemple.
Pour prendre un exemple très simple sur la santé bucco-dentaire, l’Assurance Maladie préconise d’aller chez le dentiste une fois par an. Cela permet de diminuer le recours à des soins plus intensifs liés à des pathologies qui auraient évolué. Nos données permettent de constater si les assurés profitent réellement de ce rendez-vous. Ainsi, nous pouvons savoir si les assurés qui n’ont pas consulté sont plus des femmes que des hommes ou l’inverse, leur tranche d’âge etc. Cela nous permet de mettre en place des actions de prévention ciblées au sein des entreprises.
Disposez-vous de résultats concrets quant à ces actions de prévention ?
Mercer commence à suivre des ROI sur un premier niveau d’efficacité : le fait que nos actions sont efficaces pour pousser les assurés à bénéficier des consultation de prévention.
Un deuxième niveau consisterait à aller plus loin en termes de mesure de retour sur investissement en évaluant les coûts évités pour l’entreprise. A date, il est compliqué de mesurer un impact positif de la prévention, un suivi sur une dizaine d’année étant nécessaire, mais nous nous appuyons sur des travaux de recherche pour donner de premiers éléments.
Rencontrez-vous des obstacles dans le développement des actions de prévention ?
Le secteur d’assurance complémentaire de santé/prévoyance est très compétitif, avec des contrats collectifs très normés et une attention portée aux tarifs et au reste à charge pour l’assuré qui prend le pas sur les enjeux environnementaux et de prévention.
Par ailleurs, un obstacle au déploiement de ces actions de prévention tient également à des aspects culturels. Nous sommes assez peu réceptifs en France à des campagnes par SMS par exemple qui nous inciteraient à faire des consultations de prévention. Par exemple, pour les campagnes de détection du cancer de l’Assurance Maladie, 50% des femmes ciblées ne profitent pas de leur rendez-vous intégralement pris en charge.
Enfin, les données de santé sont des données sensibles très protégées. Nous devons respecter des exigences légales fixées par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Nous ne pouvons pas réaliser certains traitements à une échelle de l’individu, ce qui limite la portée du ciblage des actions de prévention que nous pouvons réaliser aujourd’hui.
Au-delà des sujets de décarbonation, quelle est la perception du rôle des assureurs pour couvrir les impacts sur la santé des risques environnementaux et plus particulièrement climatique ?
Il y a une prise de conscience de la population sur l’urgence d’agir face au dérèglement climatique qui se diffuse. Cependant, contrairement aux questions de l’assurance des biens, les problématiques d’augmentation de la sinistralité en santé sont encore perçues comme étant assez lointaines et difficiles à mesurer. Il y a encore peu d’études sur les impacts des risques climatiques sur le système de santé, là encore disposer de données à grande échelle serait clef.
Le secteur de l’assurance de personnes commence cependant à se saisir de la question. Par exemple, France Assureur met en place des groupes de travail sur les liens entre le climat et la santé et plus largement les conditions de vie. Il est temps d’agir et d’anticiper les impacts sur les entreprises et notamment sur la santé de leurs salariés.
Entretien réalisé par le groupe d’étudiants Essec (Audrey Sambot, Fadwa Lamaaizi, Othmane Sanoune) et YCE Partners. Retranscrit par Elodie Caudal et Chloé Lan pour le Lab YCE Partners.