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FINANCEMENT ET DONNÉES SOCIALES

ÉVÈNEMENT

Workshop : "Non-recours, fraude : les organismes de protection sociale au service d’une juste prestation"

"Simplifier c’est compliqué" et "Les données aussi, il faut les accompagner", voici les deux éclairages principaux qu’apportait Julien Damon, professeur à Sciences Po et HEC en introduction du Workshop "Non-recours, fraude : les organismes de protection sociale au service d’une juste prestation !" organisé le jeudi 2 juin dernier par YCE Partners et le CRAPS.

Ce workshop, organisé à l’occasion de la parution du dossier spécial "Les données sociales au cœur de la juste prestation" dans le CRAPSLOG de juin a été l’occasion pour les organismes de protection sociale de faire un retour d’expérience sur les projets de modernisation de la délivrance des prestations en cours et de tracer une trajectoire pour les années à venir.

Simplifier pour lutter contre la fraude, le non-recours et réduire les indus 

En réponse à l’injonction de Julien Damon à "intégrer la complexité et proposer la simplicité", Laurent Gallet, adjoint au directeur de la sécurité sociale expose les points clefs de la feuille de route des pouvoirs publics de modernisation de la délivrance des prestations afin de réduire la complexité pouvant générer non-recours, indus et faciliter la fraude. Au programme : revue de la logique déclarative afin de limiter les démarches nécessaires par l’usager, harmonisation des bases ressources sur la base desquelles les droits sont calculés, et utilisation de périodes de référence de revenus plus proches de la situation actuelle de l’individu ont été présentées.

Avec la réforme des allocations logement (AL) mise en œuvre début 2021, la CNAF et la MSA ont été aux avants postes de ce programme de modernisation en permettant notamment la prise en compte de revenus plus contemporains dans le calcul des prestations logement. Frédéric Marinacce, directeur général délégué en charge des politiques familiales et sociales de la CNAF, précise que cette réforme a été rendue possible à la fois par l’adossement du dispositif de collecte des ressources au Dispositif de Ressources Mensuelles (DRM) mais aussi par l’évolution de la législation. Pour autant, et conformément au premier adage de M. Damon, la mise en œuvre de la réforme ne s’est pas faite sans difficultés, notamment du fait de l’incompréhension d’une partie des allocataires voyant leurs versements varier. De cette expérience, Frédéric Marinacce tire les deux clefs de succès suivantes pour les prochaines réformes : réaliser des tests à blanc et anticiper au maximum les parcours usagers. Ludovic Martin, directeur délégué à la CCMSA, complète le retour d’expérience avec la vision du régime agricole en soulignant les limites d’une démarche de contemporanéisation. En effet, les ressources "au plus proche de l’individu" font parfois preuve "d’instabilité" puisqu’elles peuvent donner lieu à des régularisations le mois suivant : on constate par exemple désormais 17% d’indus en moyenne. En outre, les ressources contemporaines des exploitants agricoles sont particulièrement difficiles à définir car elles sont par essence plus aléatoires et ne sont pas disponibles via le DRM.

Albert Lautman, Directeur Général de la CPAM de l’Essonne, rappelle que la modernisation de la Complémentaire Santé Solidaire (CSS) qui, comme celle des AL, s’appuie désormais également sur le DRM, n’a pas eu comme objectif premier la lutte contre la fraude. L’enjeu de la fraude n’est pour autant pas neutre : la CNAM estime à 175 millions euros la fraude non évitée sur la CSS, liée principalement à du travail non déclaré ou encore à la composition du foyer, champs sur lesquels les données sociales sont pour le moment impuissantes. Par ailleurs, pour la CNAM, les enjeux principaux de fraudes concernent davantage la fraude des professionnels de santé que la fraude sur prestations. Eric Pavy, directeur général de la Caisse des Français de l’étranger (CFE), partage l’importance des données, et pas seulement des données sociales, comme outils de lutte contre la fraude et de lutte contre le non-recours. Concernant la fraude, la CFE a mis en place une expérimentation de modélisation prédictive de la fraude en exploitant les données disponibles afin de détecter des atypies de consommation de soins de santé. Par ailleurs, la situation particulière de la CFE (l’adhésion à la couverture santé y est volontaire) illustre par contraste une réponse du système de protection sociale français au non-recours assurantiel : la couverture obligatoire.

Des entreprises aux bénéficiaires : tous les maillons d’une chaîne à ajuster ?

Bien que les orientations et priorités gouvernementales précises du projet de solidarité à la source restent à définir, la DSS indique que la simplification et l’harmonisation des bases ressources et périodes de référence constitueront un enjeu majeur du quinquennat. Ce besoin de simplification réglementaire est fortement partagé par la CNAF. Ainsi, Frédéric Marinacce souligne qu’un bénéficiaire du RSA sur deux a une chance d’avoir une créance dans l’année et 60% des bénéficiaires de la Prime d’Activité ont des ressources erronées car il est extrêmement difficile de recomposer les ressources à déclarer à partir d’une fiche de paie. Les évolutions règlementaires permettront également d’utiliser le DRM à des fins de lutte contre la fraude et non recours ce qui s’annonce très prometteur d’après des expérimentations menées par la CNAF.

La qualité et la fiabilisation des données sources associées à la juste définition de la période de référence des ressources utilisées constituent un deuxième enjeu majeur. En effet, des données trop récentes peuvent s’avérer peu fiables même si elles sont plus ajustées, de même pour des données trop anciennes qui s’éloignent de la réalité du bénéficiaire à l’heure de recevoir la prestation due. La qualité des données déclarées ne peut être assurée que si elle a un sens pour le système source dont elle est issue (par exemple la paie pour les revenus d’activité) comme le rappelle Elisabeth Humbert-Bottin, directeur général du GIP-MDS, à l’issue de la table ronde.

La refonte du parcours usagers est également un élément clé pour permettre l’adhésion des bénéficiaires à travers la bonne compréhension des bases ressources prises en compte pour leurs droits. Ainsi, Albert Lautman (CPAM) met en garde contre l’effet "boîte noire" que pourrait entrainer la modernisation des prestations sociales, où plus personne n’aurait la capacité de tracer la source des données et d’expliquer le calcul aux bénéficiaires. A cette fin, Albert Lautman imagine la mise en place d’une "garantie humaine" qui pourrait permettre en dernier recours une correction sur les données.

Par ailleurs, les intervenants ont souligné l’importance des actions de terrain dans une démarche d’"aller vers" les usagers. Du porte-à-porte dans le cadre de la vaccination contre le COVID aux initiatives de la MSA et de son réseau de délégués, les organismes partagent leurs bonnes pratiques pour accompagner les publics les plus éloignés et leur donner accès à leurs droits.

Enfin, les intervenants s’accordent à noter que la modernisation génère un défi organisationnel transverse inédit, nécessitant la mise en place de la "juste organisation" pour reprendre l’expression de Ludovic Martin (CCMSA).

En conclusion, Dominique Libault, président du Haut-conseil au financement de la protection sociale note que la modernisation des prestations sociales représente "une évolution souhaitable mais très exigeante", dont les problématiques sont parfois difficilement compréhensibles par les décideurs politiques. Le système de données sociales doit se concevoir comme une chaîne allant de l’entreprise (système source, qui déclare les revenus d’activité) au bénéficiaire final et dont les organismes et opérateurs constituent les maillons clefs.

Fanny Mas, Sophie Lopez Van Houtryve, Marie Devaine, 13.06.2022

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