IMPACT SOCIAL
La sécurité sociale doit-elle changer de modèle face aux inégalités issues du changement climatique et environnementale ?
« Depuis la COP27, on sait que la crise écologique provoquera des catastrophes […]. D'une crise écologique, on en arrive à une crise sociale » (Cassilde Brenière, AFD)
Le 6 juillet dernier, YCE partners organisait avec l’AEN3S (Association des Élèves et Anciens Élèves de l’EN3S) le lancement du Think Tank de l’AEN3S. Cet événement, animé par Evelyne Fleuret (Adjointe du Directeur de Cabinet du DG à l’Urssaf Caisse Nationale), a permis un échange sur l’avenir de la sécurité sociale face à la crise environnementale actuelle et à venir, nourri par les interventions d’acteurs de la sécurité sociale ainsi que d’exemples venus de l’étranger.
Dominique Libault (Président du Haut-conseil au financement de la protection sociale et directeur de l'EN3S) introduit le dialogue : il considère qu’il existe une diversité de moyens d’action permettant à la sécurité sociale d’être au rendez-vous de la crise environnementale. En premier lieu il importe selon lui de s’interroger sur ce que peuvent faire, en interne et à leur échelle, les acteurs de la sécurité sociale. Il appelle, dans la foulée, à engager une réflexion plus large sur la politique de sécurité sociale en France et son évolution, en envisageant non seulement un verdissement des actions de la sécurité sociale, mais aussi une baisse des émissions carbones liées aux biens et services qu’elle finance, qui représentent 13% des biens et services en France.
La sécurité sociale doit se mettre en ordre de marche pour limiter l’aggravation des inégalités existantes et l’apparition de nouvelles inégalités
La sécurité sociale devra donc s’adapter pour pouvoir demeurer le bouclier qu’elle est aujourd’hui.
Alors que les défis se multiplient pour la sécurité sociale, celle-ci doit trouver un moyen d’évoluer et de s’adapter aux nouveaux changements (sanitaires, numériques, etc.) qui s’additionnent. La crise environnementale ajoute son lot de défis supplémentaires, qui viennent se greffer à une problématique déjà très complexe : la sécurité sociale à l’heure de la transition numérique, mais aussi face aux difficultés de financement. Comme le souligne Yann-Gaël Amghar (Urssaf Caisse nationale, Directeur général), les aléas provoqués par le réchauffement climatique vont non seulement aggraver les inégalités déjà existantes, mais aussi en créer, autant à l’échelle de la France qu’à l’échelle mondiale. La sécurité sociale devra donc s’adapter pour pouvoir demeurer le bouclier qu’elle est aujourd’hui.
Premier axe : construire une sécurité sociale prête à répondre aux chocs et adaptée aux risques chroniques amplifiés
Les pays du Sud, par exemple, seront plus touchés par les aléas climatiques alors même que ce sont les pays avec les émissions de GES et les capacités d’adaptation les plus faibles.
Comme l’explique Cassilde Brenière (Agence Française du Développement, Adjointe au Directeur exécutif de solutions du développement durable), il s’agit d’abord d’identifier précisément les nouveaux risques auxquels la protection sociale fait face, en distinguant bien la composante géographique des chocs et des solutions. Autrement dit, la sécurité sociale doit prendre en considération le territoire au moment de réfléchir aux politiques d’adaptation au réchauffement climatique étant donné que la localisation est un facteur important qui joue sur les types de risques présents.
Les pays du Sud, par exemple, seront plus touchés par les aléas climatiques alors même que ce sont les pays avec les émissions de GES et les capacités d’adaptation les plus faibles. De plus, comme le précise Mathilde Viennot-Posener (France Stratégie, Cheffe de projet Enjeux sociaux et sociétaux de la transition environnementale), il ne s’agit pas seulement d’étudier comment la protection sociale peut et doit réagir face aux chocs, mais plus largement comment une stratégie globale peut être menée en amont pour subvenir aux besoins issus de risques chroniques : vagues de chaleurs, hausse des zoonoses, etc.
Josselin Pibouleau (Assurance maladie, Directeur CPAM de l’Indre) rappelle quant à lui que la France en particulier a déjà prouvé son potentiel d’adaptation, notamment lors de la crise de la Covid-19 pendant laquelle la réponse des organismes de sécurité sociale et notamment de l’assurance maladie a été rapidement orchestrée. Les réponses et méthodes apparues lors de la crise sanitaire peuvent nous aider à préparer au mieux les futurs défis.
Deuxième axe : construire une protection sociale verte et adaptative répondant aux problématiques d’inégalités potentiellement induites
La transition écologique doit être une transition juste, dans laquelle les personnes les plus défavorisées ne sont pas aussi les plus touchées par les évolutions liées à l’adaptation climatique.
Élodie Montetagaud, Directrice adjointe à l’agence AFD en Égypte, explique comment la récente réforme de la couverture universelle santé en Égypte, d’abord envisagée comme une démarche sociale, est aussi devenue une stratégie prenant en compte le climat, notamment après la COP 27. Cette composante environnementale est présente dans les réformes en matière d’efficacité énergétique et de tri des déchets, ainsi que dans les réglementations (création d’un code vert) pour les infrastructures de santé.
Dans cette lignée, Laurent Lenière (Direction de la sécurité sociale, Adjoint de la sous-directrice du pilotage du service public de la sécurité sociale) précise qu’une mise en place d’une stratégie RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) a été intégrée dans les COG (Conventions d’Objectifs et de Gestion) des organismes. Des ambitions sont ainsi relevées sur l’immobilier, la formation et la sensibilisation des cadres dirigeants, mais aussi sur la prise en compte de l’impact du numérique et également des leviers comme le développement du distanciel que ce soit dans la relation aux usagers mais aussi dans le télétravail. Plus largement, la dimension écologique doit être de plus en plus intégrée dans la mise en place des politiques publiques (par exemple avec la création de bonus/malus) afin que la sécurité sociale puisse activer son rôle de levier.
Néanmoins, la réduction des émissions entraine des problématiques financières et sociales dont les solutions restent à trouver pour la plupart. Thibaut van Langenhove (Expertise France, Responsable du Pôle Protection Sociale et Travail décent) a insisté sur le fait que cette baisse de l’impact environnemental doit prendre en considération les inégalités sociales. Autrement dit, la transition écologique doit être une transition juste, dans laquelle les personnes les plus défavorisées ne sont pas aussi les plus touchées par les évolutions liées à l’adaptation climatique. Si les soins de santé devenaient plus chers à cause de normes environnementales, comment assurer que les populations les plus défavorisées puissent y avoir accès ?
Troisième axe : transformer plus globalement le modèle de la sécurité sociale pour y intégrer pleinement les enjeux environnementaux
Un défi consiste à adapter le financement à la triple inéquité environnementale (responsabilité des émissions, exposition différenciée, capacité d’adaptation)
Anne Roué le Gall, enseignante-chercheuse à l’EHESP et membre du Haut conseil Breton pour le climat, offre une première piste en expliquant que la démarche d’évaluation d’impact environnemental est un levier majeur pour identifier les impacts d’un projet d’aménagement urbain sur la santé et l’accès au système de santé des usagers. Ainsi, cela permet de concevoir des stratégies d’atténuation et d’adaptation au niveau des territoires. La marge de progression pour la bonne prise en compte de ces facteurs est grande ! Elle souligne ainsi le besoin pour les acteurs de la sécurité sociale de s’impliquer dans des analyses d’impacts systématiques impliquant l’ensemble des acteurs d’un territoire. La bonne prise en compte des facteurs environnementaux de la santé constituant un défi majeur.
En effet, comme le rappelle Josselin Pibouleau, les facteurs environnementaux seraient liés à 70% des maladies non transmissibles, qui à leur tour représentent une partie considérable des dépenses de la sécurité sociale. A ce titre l’exposome (l’ensemble des facteurs environnementaux auquel un individu est exposé au cours de sa vie), est une notion centrale à prendre en compte. Au niveau local, la démarche proposée est de focaliser sur un risque en lien avec un territoire et d’agir de manière partenariale avec les acteurs locaux. C’est ce qui a été réalisé par la CPAM de l’Indre dans le cadre de son projet autour des phtalates.
Sur les déterminants environnementaux de santé également, on constate un gradient social avec une plus forte exposition des populations les plus défavorisées, comme le souligne Mathilde Viennot-Posner. Cette question des inégalités environnementales doit être prise en compte pour la question du financement : qui dit nouveaux besoins, dit nouveaux besoins de financement. Dans ce cadre, un défi consiste à adapter le financement à la triple inéquité environnementale (responsabilité des émissions, exposition différenciée, capacité d’adaptation), notamment en s’inspirant du principe « pollueur payeur » afin d’éviter une réaction de type Gilets Jaunes.
Pour conclure, une approche transversale est nécessaire pour préparer la protection sociale aux défis du futur. Il apparaît nécessaire de créer des synergies interbranches et d’élargir cette transversalité à d’autres acteurs et collectivités afin d’étendre son champ d’action. Néanmoins, les limites de cette expansion sont à déterminer. Une des réflexions à mener par le groupe de travail proposé par l’AEN3S !
Stella Checa Cañas, Marie Devaine, Nicolas Berger
Pour aller plus loin :
Contactez Marie Devaine (mdevaine@yce-partners.fr) ou Stéphanie Andrieux (sandrieux@yce-partners.fr), respectivement manager et associée chez YCE partners, pour approfondir la réflexion ou profiter d'un accompagnement.